Pour ceux qui connaissent "L'étranger" d'Albert Camus, ce roman en est l'épilogue, écrit du point de vue du frère de l'"Arabe" sans nom que Meursault, l'anti-héros de Camus, a abattu de sang-froid, sans donner d'histoire ni même de nom à la victime.
Kamel Daoud signe ici un petit chef-d'œuvre. Une partie importante de la littérature post-coloniale, qui accuse l'attitude coloniale évidente selon laquelle les colonisés ne sont qu'une masse de gens ("Arabes") qui ne sont pas dignes de leur propre histoire et même de leur propre nom.
Camus a été et est toujours largement célébré en Europe et dans le monde entier comme l'un des auteurs les plus influents du 20e siècle. Ce que Kamel Daoud souligne magnifiquement ici, c'est qu'il était aussi un raciste avec un état d'esprit de colonisateur.
Mais Daoud ne s'arrête pas là. Fervent défenseur d'une société pluraliste et ouverte dans son pays d'origine, l'Algérie, qui est très, très loin d'être ouvert ou pluraliste, Daoud ne se prive pas de critiquer l'Algérie d'aujourd'hui.
Le roman se déroule essentiellement dans un bar, où le frère de l'Arabe assassiné parle à une personne non décrite (le lecteur), et il devient évident au fur et à mesure que l'histoire se déroule qu'il s'agit probablement d'un visiteur venu de France, fan de l'œuvre de Camus et en quête de l'identité de l'"Arabe" assassiné dans le livre de Camus.
Après avoir trouvé le frère, qui est devenu un vieux pilier de bar dans un pays où les bars n'existent plus vraiment, où l'alcool est mal vu et où la religion semble être la seule chose qui reste, Daoud a composé certaines des attaques les plus poignantes et parfois les plus amères contre l'islam que j'aie rencontrées jusqu'à présent.
Ou, pour être plus précis, le type d'islam tel qu'il est propagé et vécu dans la société algérienne d'aujourd'hui.
J'espère que ce livre sera davantage lu en Algérie même, un pays où il n'est pas facile de mettre la main sur des livres qui ne sont pas le Coran.
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